Quand je décide, à la fin des années 80, de faire un travail sur l’exploitation sexuelle des enfants, je suis loin d’imaginer dans quelle horreur je vais tomber. Le monde dans lequel j’atterris est d’une violence insoupçonnable. C’est en enquêtant dans le milieu afro parisien sur la vie en clandestinité que je découvre le trafic des enfants à domicile.
Le but était d’écrire une lettre ouverte aux Africains, que j’invitais, dès 1990, à chercher des solutions pour vivre chez eux, car l’exode ne saurait être une solution à la misère. Les années 2000 seront redoutables, car l’Europe s’ouvrira à l’Est et se refermera au Sud. Pour trouver des témoignages qui corroborent ces dires, je suis allée à la rencontre de plusieurs associations africaines parisiennes. C’est en entrant dans les foyers, dans les maisons et les associations, que je suis tombée sur le trafic clandestin en appartement des enfants africains. Dès lors, je me suis donné pour mission de dénoncer ces faits en sensibilisant les membres de la communauté.Pendant des années, je vais mener, seule, une véritable enquête dans les milieux afro en Europe. Des restaurants clandestins aux appartements, des salons de massage aux hôtels, des trottoirs aux bois, des urgences des hôpitaux aux associations : un travail de fourmi. De ville en ville, de trottoir en trottoir, de pays en pays. Un travail d'infiltration en douceur avec des changements d’identité (parfois proxénète, parfois candidate à la prostitution). Des prises de risques maximales, quand on sait la violence du milieu dans lequel je vais évoluer. Un milieu où les acteurs sont des trafiquants, parfois des assassins.
Préserver l’innocence des enfants
L’utilisation de mon origine africaine est un atout. J’adopte une approche en plusieurs langues et dialectes que je connais. Il s’agit de rencontres directes avec les prostituées, les surveillants, les clients, les proxénètes et les intermédiaires.
J’ai connu de grands moments d’émotion, des larmes, des joies, des menaces avec des pistolets sur la tempe. Il m’est arrivé, plusieurs fois, de recevoir des gifles de jeunes femmes ou de proxénètes mécontents, de me faire injurier et huer à certaines conférences par des Africains sceptiques ou outrés. Malgré tout cela, je n’ai jamais démissionné. Au contraire. J’étais de plus en plus motivée. J’allais de plus en plus loin dans l’infiltration, avec un danger de plus en plus présent. Ces moments difficiles étaient parfois entrecoupés d’instants agréables, tels que la naissance d’amitiés, des invitations à des mariages, mais aussi des rapprochements qui se faisaient lors des décès, des expulsions, et des instants communs de colère et de révolte.
Tous ces moments constituaient un véritable cocktail de sentiments et de ressentiments tellement forts qu’on pouvait les toucher. Pour avancer dans ce monde de violence, de drogue, de mort et de sang, il m’a fallu plus que du courage et de la volonté. C’est une chose bien supérieure à tout cela que je transporte au plus profond de mon être, qui a été, qui est et qui sera toujours mon moteur. Cette chose, ce sont les valeurs que je transporte en moi. Et malgré les blessures et les déceptions, malgré les larmes, je reste debout. Je me bats et me battrai toujours pour la dignité et l’honneur des femmes. Je me bats pour la réhabilitation de la femme noire que je suis moi-même, pour le respect de la vie humaine et surtout pour que soit préservée à jamais l’innocence des enfants.